Depuis la nuit des temps, les épidémies n’ont eu de cesse de bousculer la vie des hommes. Faucheuses de vie mais aussi muses macabres, elles ont façonné nos sociétés, en poussant au progrès la médecine et en alimentant, entre autre, des peurs intestines. Car il semblerait que les virus ne se contentent pas seulement d’infecter les corps… Ils enfièvrent aussi les œuvres littéraires et cinématographiques. Et marquent ainsi les esprits de ceux qu’elles contaminent.
Pestes buboniques et autres grippes tueuses resurgissent
Il n’est pas étonnant, alors, que depuis l’apparition en janvier, à Wuhan (Chine), du coronavirus, des références en la matière refassent surface. Pestes buboniques et autres grippes tueuses resurgissent dans nos mémoires, pendant que les jeux vidéos (Plague Inc.) ou films à tendance apocalyptique comme Contagion, de Steven Soderbergh (2011), semblent connaître un regain d’intérêt.
La naissance d'un genre
La mythologie grecque n’a pas conté que des épopées merveilleuses. Dans Œdipe roi, Sophocle relate au Ve siècle avant J.-C., une mystérieuse maladie qui décime les hommes et le bétail, à mesure qu’elle se répand dans Thèbes.
Cette épidémie de peste, vécue alors comme la manifestation de la colère des dieux, permettra à Œdipe de percevoir et d’accomplir sa destinée.
Au fil des siècles, les maladies contagieuses continueront d’inspirer les auteurs, guidant la plume de Jean de La Fontaine, au XVIIe siècle, avec Les animaux malades de la peste ; de Daniel Defoe, avec le Journal de l’année de la peste ; d’Alexandre Dumas fils, avec sa Dame aux camélias (1848) ; ou bien encore de Gabriel Garcia Marquez, avec L’Amour au temps du choléra (1985).
Au cinéma, il faudra attendre 1956 avec L’Invasion des profanateurs de sépulture, de Don Siegel, pour assister à la naissance d’un nouveau genre : le film d’horreur épidémique.
Il sera suivi une année plus tard par Le Septième sceau, d’Ingmar Bergman et par une flopée d’autres films tout aussi effrayants les uns que les autres.
La mutation
Depuis, les trames des films et des livres ont muté, suivant l’évolution des problèmes sociétaux et l’émergence de nouveaux virus.
À chaque décennie, sa hantise : les catastrophes atomiques ont marqué les films d’après Seconde Guerre mondiale (L’Homme qui rétrécit, Pluie noire…) ; l’émergence du Sida, les années 1980 (Mauvais sang, Les nuits fauves…) ; les virus s’échappant des laboratoires, les années 1990/2000 (Virus, Je suis une légende)…
Plus récemment, c’est le SRAS, la maladie infectieuse des poumons qui a provoqué la mort de 774 personnes en 2002/2003, qui a inspiré Contagion. Le film, qui raconte comment un virus mortel venu de Chine infecte le monde entier, trouve actuellement un écho particulier en pleine période de coronavirus…
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L'émergence de symptômes chez le spectateur
Même s’ils s’appuient sur des thématiques différentes, les films épidémiques ont comme point commun leur schéma narratif, selon Hugo Clémot, docteur en philosophie. Dans presque toutes ces œuvres, « la disparition des institutions sociales et politiques » a « contraint les quelques survivants à se fixer eux-mêmes leurs règles de vie commune ». Ou à accepter l’angoisse de l’isolement.
Extrait du film Contagion. Photo DR
On y retrouve « également une même esthétique, celle de la ruine et de la désolation avec ces images de grandes villes désertées par leurs habitants ».
Outre la peur du virus, cet ennemi invisible du quotidien, les films épidémiques font naître chez certains spectateurs une certaine défiance envers la science ou l’État, que l’on juge alors responsables de l’émergence du mal. Elle nous fait également prendre conscience de notre fragilité face à la nature.
Dans Épidémies et contagions. L’imaginaire du mal en Occident, Gérard Fabre explique aussi que l’angoisse de l’épidémie peut créer ou accentuer des fractures au sein de la population. Les habitants venant alors à accabler et rejeter injustement la personne ou le groupe de personnes que l’on pense infecté.
Pour aller plus loin...
La mort à Venise, de Thomas Mann. Ce roman décrit la descente aux abîmes de Gustav Aschenbach, un veuf respectable, dans une Venise au charme maléfique rongée par le choléra.
La Peste, d’Albert Camus. Le roman raconte sous forme de chronique la vie quotidienne en 1940 des habitants d’Oran (Algérie) pendant une épidémie de peste qui frappe la ville et la coupe du monde extérieur.
À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, d’Hervé Guibert. Dans ce premier tome d’une trilogie autobiographique consacrée au sida, l’auteur raconte son existence depuis qu’il a été contaminé par le virus.
28 jours plus tard, de Danny Boyle. Mythique, ce film relate la vie de Jim, qui se réveille du coma dans un Londres désert. Vingt-huit jours plus tôt, un virus de la « fureur » a contaminé les habitants, devenus assoiffés de violence.
Daphnée Autissier