Le roman « deux journées » tout comme « tawk al hamama » du grand Ibn Hazm, est le fruit d’une inspiration toute particulière, profondément marqué dans le cœur de la romancière et dont l’effet a été plus qu’insufflateur; fruit de l’inspiration d’une amie vivement présente dans le tumulte du quotidien et sa monotonie accablante!
A Montréal, la ville choyée de la romancière d’où elle a décidé d’envoyer un simple mail à son amie Raghda, les événements prennent la forme d’un tourbillon martelant où toute une journée n’a pas suffi pour rédiger et envoyer ce fameux mail ! Fameux car il sera à l’origine du roman et constituera le fil conducteur du récit !
De part son titre déjà, le roman « deux journées » est plus qu’original. Tout se passe et se relate en deux jours, le temps d’un roman ! Entre l’écriture du mail et son envoi, la romancière nous livre des séquences intermittentes de sa vie, de celle de sa famille, de sa communauté, de son peuple où le personnel, le social et le politique se concordent, se juxtaposent, s’interpellent se mêlent et se démêlent pour donner à des événements réels une note fictive douce, enveloppante et captivante.
Au fil des pages, les faits se profilent et se succèdent dans un enchantement saccadé où l’historique, l’imaginaire, le rationnel et l’affectif s’épousent, s’enlacent, s’embrassent, se séparent dans des élans tendres, coquins et déchainés. Cet aspect de l’art de raconter de la romancière déstabilise le lecteur dans ses croyances, fragilise ses convictions et rompt avec son mode de pensées et son pré appréciation de l’art d’écrire et de relater. Sans vouloir délibérément être une critique le roman invite le lecteur à se libérer d’un style romancier pré requis pour adhérer à une nouvelle façon de raconter dans une brutalité douce et attachante!
Dès lors, la romancière évoque la mémoire dans un mouvement continu, voyage alterné, va et vient ininterrompu mais constamment renouvelé entre Montréal, Chicago, Fès, …villes sublimes, villes aimées usant de diverses techniques littéraires qui donnent au lecteur une sensation de mouvements frénétiques le laissant en haleine. Tablant sur la transcendance et la bipolarité, le texte est ainsi à l’heure de la mondialisation où dissemblance, diversité, conformité, hétérogénéité et homogénéité se bercent, s’entrelacent, se combinent sans pour autant s’assimiler.
Dénoyauter ce texte pour démêler les fils enchevêtrés des événements racontés dans un style novateur où l’arabe classique et la darija se coudoient élégamment sans se heurter, met en haleine le lecteur entrainé dans un flot tourbillonné où la recherche d’un moment de répit est continue. Le passé s’entremêle et s’immisce ainsi dans le présent sans nuire pour autant à l’esthétique du texte ni rompre avec la logique de l’art de raconter qui reste le point fort de la romancière.
Dans « deux journées », l’imaginaire, les personnages, le retour furtif mais récurrent à l’histoire, le ra de marrée entre le réel et le fictif dans une symbiose légère mais profonde… mettent le lecteur devant la difficulté de classifier ce texte : s’agit-il d’un roman classique, d’un roman historique, d’une gymnastique intellectuelle acrobatique, d’un texte de zajal, d’un documentaire… ? Nul ne peut trancher ! Ce roman est certes tout ça à la fois ! Cette dimension est certes voulue et exprime plus d’une signification artistique. Jouer avec le temps, l’espace, le langage, les personnages avec intelligence et sournoiserie, la romancière en a fait son style, déjà développé d’ailleurs dans son premier roman « dounia jat »
« Deux journées » fait émerger une façon d’exprimer se voulant novatrice et audacieuse. Cette tendance se concrétise par exemple dans les obstacles dressés par la police et qui empêchent la femme enceinte en plein contractions de passer ou encore dans la voix incitatrice du poète révolté et indomptable à la page 39.
« Deux journées » traduit un moment de recul remettant à jour des moments terribles de l’histoire de notre cher Maroc ; des moments dont l’impact sur la vie culturelle et artistique est de nos jours bien profond. Sortir de la reproduction et emporter le lecteur dans l’enchantement et la magie des événements a été un challenge gagné à coup de sournoiserie de coquetterie et de noblesse de la parole.